Petit album numéro 3
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Raconter des histoires, se dit-elle, c'est ce qui me donne envie. "Me servir de ma caméra pour filmer comme je respire et tenter d'en sortir un récit plus tard, devant des heures de rushes, ou , un carnet dans le sac, installée dans un bar, croquer les autres personnages de la scène". Parce que dans sa tête, toutes les situations sont filmées par un oeil invisible, il y a un scénario, des costumes, des génériques de fin. Elle peut raconter sa vie aussi, faire de la bande dessinée d'autofiction, ou collaborer avec Fernand Fernandez qui lui écrit des histoires alambiquées de gens trop cérébraux. Et puis elle écrit elle-même, toujours au bord d'une nouvelle histoire. Observer le monde, s'asseoir et imaginer. Avant elle prenait des photos, le plus souvent ses amis. Ils sont des personnages de fiction.
Il y a quelques années elle a fait lire son journal intime à quatre filles, qu'elle a filmé chez elles, elles portaient son T-shirt préféré. Leurs voix et leur image ont rendu ses mots à elle étrangers et universels, ils ne semblaient plus lui appartenir, quand elle relisait son journal c'était avec leurs intonations. Plus tard quand elle a eu besoin de parler de la mort , elle a fait plusieurs vidéos muettes, où des personnages fictifs se retrouvaient dans des cimetières pour y danser, y dormir et s'y ennuyer.
Ses nouvelles envies : entendre les chansons pop qu'elle compose avec son ordinateur à un volume élevé, dans une pièce où les murs sont recouverts de dessins et de photos de toutes tailles, comme les murs d'une chambre d'adolescent. Et aussi : observer, attendre, noter les scènes les plus intéressantes du lieu où elle se trouve, une dispute entre deux mères de famille dans un bus, un commerçant qui se trompe dans la monnaie, un gosse qui se fait gronder très fort dans la rue, et les rejouer, ces scènes, oui, toute seule, devant sa caméra, une fois rentrée à la maison. Trouver comment reconstituer des éléments de décor, comment expliquer les personnages en étant la seule actrice, et redonner à voir les scènes, faire de la vie un espace clos entre "début" et "fin", un épisode, une fiction. C'est une passion pour l'imaginaire, plus vaste, plus rapide et plus inventif que la réalité.
"Je m'invente toujours les histoires des gens que j'observe avec mes grands yeux, je leur prête des drames, des amourettes, des crimes, des circonstances atténuantes, des deuils et des maladies."
Elle voudrait raconter dans une autre langue aussi, comme les chansons qu'elle écrit, des histoires de fille laide vivant avec sa mère, de garçon somnambule, de personnages de dessins animés qui avoueraient être communistes, d'une femme nommée Holly qui accueille dans sa maison des criminels potentiels, des suicidaires et des gens qui n'ont pas eu le temps de faire leur lessive. Quand elle chante elle s'appelle Poun et s'est faite connaître dans le monde de la musique libre de droits sur internet. Poun est son personnage à succès, elle correspond avec d'autres personnes qu'elle n'a jamais rencontrées, elle donne à voir quelques photos ou dessins la représentant, elle chante sur sa musique, elle a répondu à une interview publiée sur plusieurs sites, elle existe. Mais personne ne l'a jamais vue.
Où qu'elle se trouve, elle aura besoin de raconter au gens. Leur inventer des récits, avec des images et avec sa petite voix qui chante parfois presque faux mais c'est joli quand même. Leur dire que le cinéma est un de ses endroits préférés au monde, avec son lit, quand elle arrive à dormir.

Guérine Regnaut aka Poun